skip to main | skip to sidebar
walker films

Un projet vidéographique de Florent Mulot et Thomas Bernardet

 

Walker La Cité Radieuse, architecte Le Corbusier, Marseille, 2000 24min

 

 

Walker Le Pré Catelan, architectes VG. Letia et L. Lombar, Toulouse, 2001 19min

 

 

Walker Le Colisée, architecte Kisho Kurokawa, Nîmes, 2001 15min musique : Labradford

 

 

Walker incendie au domaine de la Valsière, agglomération de Montpellier, 2003 29min

 

 

Walker le batiment de l’IUT Chimie à Toulouse aprés l’explosion de l’usine AZF, 2002 14min

Accueil

Chaque film de la série Walker prend pour décor un ouvrage architectural moderne ou contemporain et son proche environnement. Les deux réalisateurs se livrent à un curieux test, dont la méthode est la même à chaque fois, mais dont l'hypothèse de départ reste inconnue : une déambulation patiente, apparement sans itinéraire préconçu, où chacun des protagonistes endosse tour à tour le rôle de filmeur et de modèle. Ce test ne relève manifestement pas d'une approche analytique ou d'une visite guidée. Dépourvue de programme, la déambulation s'improvise et ne se présente jamais comme une lecture éclairée de l'architecture ou de la géographie : simplement le déplacement de corps livrés à l'aléa d'une marche et aux influences d'un lieu.

Au milieu de décors désertés, un personnage se déplace avec lenteur. Au bout d’un moment, un changement se produit. La visite continue dans le même lieu, mais le marcheur diffère. Un second personnage est apparu, tandis que le premier s’est volatilisé dans une collure. Le second continue la nonchalante entreprise du premier. Un peu plus tard, il disparaît à son tour, quand le premier revient. Et ainsi de suite… Du point de vue du spectateur, deux silhouettes traversent donc ces espaces, peut-être en même temps, peut-être pas, car jamais elles n’apparaissent ensemble. Les deux promeneurs, sont d’une certaine manière interchangeables. Entre eux, la ressemblance n’est pas flagrante, mais elle suffit à troubler la claire distinction de leurs différences : même silhouette dégingandée, même démarche hésitante, mêmes postures d’attente ou de contemplation, même indolence, même lenteur. Le même lieu est montré à chaque plan. A chaque raccord, la continuité de la lumière indique une unité temporelle. Mais cette unité de temps et d’espace ne suffit jamais à les raccorder tout à fait. Par ce jeu de cache-cache, forme équivoque de montage parallèle, chaque corps demeure bien séparé, isolé dans sa bulle. Ainsi, les espace-temps sont à la fois étanches et troués, manquant chacun de ce qui les relierait l’un à l’autre. En ajournant continuellement le contact des deux promeneurs, chaque film nous les montre étrangement juxtaposés, plutôt qu’englobés dans un espace-temps unificateur, conventionnel. Dans cet espace-temps discontinu, rendu insaisissable par ce dédoublement des figures et des points de vue, chaque protagoniste apparaît comme la doublure de l’autre. Et tout se passe finalement comme si « Walker » n’était qu’une sorte de statut flottant, restant inassignable. Chacun de ces corps ne serait qu’un avatar possible de l’entité Walker.

Le sens manque toujours à cette double déambulation. Sur le but de leur présence, l’indétermination se maintient jusqu’au bout, au long d’une attente qui semble sans borne. La temporalité des Walker est exempte de véritable tension, et donc de toute résolution possible. C’est qu’une patience plus profonde les fait se mouvoir. Manifestement, les figures essentielles de ces films sont l’espace et le temps, et peut-être ne sont-ils là que pour offrir un fond à ces figures ; le fond de leur flottement existentiel, de la vacuité qui s’installe au long de leurs parcours hésitants. Leur mouvement désorienté, risquant continuellement de basculer dans l’immobilité, fait apparaître le lourd écoulement du temps, et l’espace qu’ils traversent devient à leur contact une matière fuyante, d’une énigmatique limpidité. Mais qu’attendent-ils donc, qui ne soit pas déjà là ?

La marche des Walker, apparemment sans dessein, ouvre donc sur cette singulière possibilité : celle d’une présence purifiée de toute cause, désencombrée de toute raison extérieure. Présence désaffectée, assumant son caractère lacunaire, son incomplétude essentielle. De cette manière, ce qui se propose à travers ces déambulations, plus profondément que l’attente ou l’ennui, c’est le désoeuvrement pur et simple, condition de toute réelle disponibilité. Disponibilité à l’espace, disponibilité au temps, ouverture à ces données de l’expérience en tant que purs phénomènes, dont seuls des corps vacants, dénués de projet, peuvent devenir les surfaces d’inscription privilégiées.
Boris Nicot



Like a dog strolling through a battle­field

The Walker project is an ongoing series of video essays on different architectural or architectured sites. In each film, the two ar­tists stroll through a building or landscape, taking turns filming with a single video ca­mera. The first installment (Walker #0) fo­cused on Le Corbusier’s Cité Radieuse in Marseille; the second (Walker #1) explored a former shopping center (now offices and housing) built in Toulouse in 1975.

Of the four films in the series, Walker # 2 is probably the most narrative. It starts with blue-grey, almost monochromatic tracking shots from a car, set to low-key music. Then two young men are seen moving through a sprawling architectural complex. They come to a zebra crossing and stop: their faces look pale against the grey building. Cars roar by. It’s a classic opening sequence: slow, ee­rie, promising. But after that, instead of ac­tion picking up, everything comes to a halt. The soundtrack fades to silence. As color returns, a long series of still shots unroll: wind blowing through palm fronds, high-up balconies, windows with their curtains closed. The two cameramen tiptoe around the building as if they’d slipped into a time­less, silent dimension.

Walker # 3 seems to have more to do with perception. It’s shot in a vacant lot of a hou­sing development, somewhere in southern France. A fire has just devastated the site. Blackened tree-trunks ooze white gobs of sap. The ground is scorched and covered with ashes. The camera grazes the right ear of a man and crosses his face in a blur of motion. His other ear appears, then two beady, hungry eyes. The next shot shows red, poisonous-looking fruit hanging from leafless branches. Flies are crawling over it. It seems like the point of view of an animal: a crow, or a dog. The next sequence – a single continuous shot of feet trudging through the ashes – only confirms this impression. The camera hovers around splin­ters of bone-white rocks, follows wheel tracks going nowhere, pushes through charred underbrush, snif­fing, circling, searching… curious but detached, like a dog strolling through a battlefield. Indeed, a sense of death and loss radiates from the film, even as it focuses on tactile sensations, textures: skin, sweat, ash.

The Walker films are not fiction, nor are they docu­mentary. TB and FM define them as performances meant to be filmed, cinematographical improvisa­tions on a theme, like free jazz recorded in a studio, with multiple takes. Snatches of fictional style, of fa­miliar themes, arise here and there; other images, other scenarios hover on the edges of the frame. The use of video, of direct sound, of natural light, of long takes and ellipses, and the offbeat performan­ces of the cameramen/actors seem to echo certain cinema vérité experiences – except that instead of capturing a fictional dimension of real-life charac­ters, the Walker films capture a fictional dimension of real-life places.

The Walker films are an evolving process, defining their style and purpose as they go along, integrating and digesting other films, other images, other lan­guages. The ubiquitous stills and continuous shots echo art house cinema’s obsession with those two impossible extremes; they also have a lot to do with photography – a medium both TB and FM use in other circumstances. «Our films are photographers’ films. They could almost be seen instead of being watched; a single image, a single shot would be enough.»

Sylvie Neaurepy


A propos de Walker, le Colisée de kisho kurokawa à Nîmes

Dans ce film, Thomas Bernardet et Florent Mulot investissent un bâtiment en bordure de périphérie, conçu par Kisho Kurokawa et nommé Le Colisée. Durant cette dérive du regard, différents motifs émergent, dont le dénominateur commun serait un art de la pose.

Le Colisée est lui-même posé à un endroit stratégique de la ville de Nîmes, à l’exacte intersection du périphérique et de la bordure du centre ville. Ce qui frappe d’emblée c’est le peu de présence humaine dans et autour du bâtiment. Les auteurs sont avant tout confrontés à un espace de circulation, scénographié par Kurokawa, et par les services de la mairie de Nîmes pour ce qui est des alentours. On a, à plusieurs reprises, l’impression d’être confronté à une maquette, saisie par des prises de vues frontales qui enregistrent le trafic automobile dans toute sa fluidité, comme en apesanteur, ou encore le petit espace vert parfaitement découpé et au gazon un peu trop vert pour être honnête et méditerranéen. La question qui émerge rapidement est : pour qui cet espace à t’il été conçu et qu’elle est sa fonction ?

La fonction, c’est la circulation. Pour ce qui est de la première question on est tenté de répondre : pour personne. Le lieu n’étant pas habité mais seulement traversé. Les balcons sont désespérément vides, aucune présence humaine mais aucun signe de vie non plus –comme une chaise qui traînerait sur le balcon-. On ne relève aucune traces de graphes et finalement les seuls habitants du lieu semblent bien être les auteurs du film, dont la présence est intensifiée par la quasi-absence d’autres individus tout autant que par leur look de loosers magnifiques, et un peu arty quand même. Thomas Bernardet apparaît sous des traits quasi monacaux lors de la première session d’enregistrement vidéo, tandis que Florent Mulot, dans un registre tout aussi intérieur, arbore une tenue savamment négligée. Dans leur volonté de s’inclure eux même dans le film afin de « mettre à jour une certaine forme d’influence crée par un bâtiment sur son visiteur », Thomas et Florent se révèlent telles des figures de modes. Ils posent leur regard sur le Colisée et le spectateur peut parfois penser qu’ils surjouent ce regard qui travaille. En d’autre terme ils posent. Mais, et c’est là où ça devient vraiment chouette, il n’est pas facile de poser dans un espace dédié à la circulation. Un décalage est ainsi à l’œuvre qui atteint son paroxysme quand l’un des deux est assis prés de la chaussée avec les voitures passant à quelques centimètres à vive allure. Du coup le caractère forcé de leur entreprise –habiter momentanément un lieu, au moins par le regard- apparaît comme une formidable entreprise de réhabilitation de la simple présence humaine dans un lieu qui la nie.

Contaminé par la pose, la volonté de donner une représentation lisse de soi à travers ce bâtiment, pour ce qui est de son commanditaire, à savoir la ville de Nîmes, bref une représentation conforme à ce qui est attendu du contribuable nîmois, les deux auteurs n’en restent pas moins irréductibles. Le paradoxe tient en ceci que si leur présence où leur film renvoient à une esthétique tout aussi moderne que le bâtiment qu’ils investissent, cette esthétique n’est possible que parce qu’ils n’habitent pas réellement le lieu mais s’y juxtaposent. Cf. la mention « copier/coller » sur le cd qui sert de support à la vidéo. Quelque part ils font tâches et c’est cela qui est beau. On retrouve cette dynamique lors de la deuxième session, avec au premier plan quelques herbes folles jaunies ou encore la fleur de chardon, et au fond le bâtiment gris. La nature n’est plus ici domestiquée, comme pour l’espace vert mentionné plus haut, mais elle reprend toute sa dimension organique. C’est du reste un des rares moments du film où on sent le soleil transparaître, c’est comme une bouffée d’air frais au milieu d’un film ambiant insidieusement anxiogène.

Ce découpage du film en deux temps, laisse entrevoir une perception différente, plus « heureuse » pour le second volet, mais elle sert aussi, tout comme l’absence de commentaires, le potentiel fictif de cette entreprise d’enregistrement d’une certaine urbanité et on se surprend ainsi à atteindre, au détour d’un plan, une intrigue quelconque.

Deux mots sur la bande son, enfin, qui, hormis le début, ne comprend que le souffle du vent et celui des voitures qui tracent. En fonction du volume sonore, cela sert une ambiance tour à tour enveloppante, et donc sécurisante, ou au contraire plus violente et angoissante.

Walker 2, n’est finalement rien d’autre qu’une entreprise de dialogue.

L’absence des filtres fictifs, documentaires, ou artistiques les plus courants sert finalement une démarche minimale, qui fait le choix de faire confiance à l’humain et à sa faculté d’être en intelligence avec le monde qui l’entoure. Monde qu’il a produit et dans lequel il ne se retrouve pas pour autant. D’où le charme mélancolique de cette production.

Fabrice Michel, Nîmes 2004. http://ephemx.free.fr